par Béatrice Risso

Extrait du livre 100 idées pour développer la mémoire des enfants

La mémoire de travail est fortement impliquée dans les apprentissages scolaires chez l’enfant, plus particulièrement dans la lecture et la compréhension de textes, dans la production d’écrits et dans la résolution d’opérations.

Mémoire de travail et lecture

Étant donné l’importance de l’acquisition de la lecture pour l’ensemble des apprentissages scolaires, nous allons nous y attarder pour mettre en évidence en quoi la mémoire de travail intervient particulièrement dans l’acte de lire.
Tout d’abord, pour comprendre un texte nous devons mettre en relation des informations perceptives et linguistiques avec des connaissances stockées en mémoire à long terme. Au fur et à mesure de sa lecture, le lecteur fait des liens entre le texte et ses connaissances afin d’élaborer une représentation mentale de ce qu’il lit. La mémoire de travail est impliquée dans chacune de ces étapes, lors du décodage, du traitement de l’information, de la compréhension de celle-ci et de sa mémorisation. Pour vous donner une idée du rôle de la mémoire de travail dans la compréhension en lecture, prenez le temps de lire le texte ci-dessous :

Sur la pente qui plongeait à droite, de beaux pins dominaient une épaisse broussaille de chênes kermès, qui ne sont pas plus hauts qu’une table, mais qui portent de vrais glands de chênes, comme ces nains qui ont une tête d’homme […] Mon père se tourna vers nous : « Mes enfants, au fond du vallon, il y a un ruisseau ! ».Le paysan se tourna à son tour, et ajouta : « Quand il pleut, bien entendu … » Marcel Pagnol : La Gloire de mon père.

Lorsque nous lisons ce texte, nous imaginons le paysage décrit par Pagnol. La forme générale des arbres, le bruit du ruisseau, l’odeur des pins sont récupérées parmi nos connaissances puis sont ensuite intégrées aux éléments décrits en un tout cohérent pour former une « représentation » transitoire qui peut impliquer nos cinq sens. Cette représentation mentale est issue des interactions entre la mémoire à court terme (ce que nous lisons) et la mémoire à long terme (ce qui nous est évoqué) qui sont connectées entre elles grâce au buffer épisodique. Si un certain nombre de connaissances sont partagées par tous, comme l’odeur des roses ou de la menthe, d’autres relèvent de l’expérience individuelle. Par exemple, un décorateur d’intérieur aura plus de facilité que nous à se représenter mentalement un salon et une cuisine une fois que la cloison les séparant aura été abattue.
La mémoire de travail intervient donc d’abord dans le traitement des informations ; elles font l’objet d’une analyse perceptive puis sont traitées afin de garantir une cohérence locale, au niveau de la phrase, puis une cohérence globale, au niveau du texte. Au fur et à mesure de sa lecture, le lecteur se construit ainsi un schéma global du texte. Comme nous l’avons vu, les informations perçues sont confrontées aux informations stockées en mémoire à long terme et mises en relation avec celles-ci et le déficit en mémoire de travail entraîne des difficultés de lecture aisément repérables : l’enfant en difficulté déchiffre correctement le texte mais ne parvient pas à le comprendre. En effet, la faiblesse de sa mémoire de travail ne lui permet pas d’effectuer des inférences (des déductions logiques) ; d’intégrer les différents éléments lus pour leur donner un sens ; d’utiliser le contexte pour donner du sens à ce qui est lu ; de retrouver des informations dans le texte pour effectuer des confrontations.

Cela s’observe de manière encore plus aiguë dans le cas de lecteurs débutants présentant un déficit de la mémoire de travail ; en début de CP, la charge mentale de décodage de chaque lettre mobilise la plupart des ressources cognitives, ce qui ne permet pas de faire des inférences. Le lecteur débutant s’attache au déchiffrage mais n’a plus les ressources cognitives permettant de comprendre ce qui a été déchiffré. Quand le déchiffrage devient « automatique », lorsque l’enfant reconnaît globalement des syllabes ou des mots, il libère des ressources cognitives qui lui permettront de faire des inférences par rapport à ce qu’il lit et de comprendre ce qui est lu.

Mémoire de travail et écriture

De la même manière que pour la lecture, la mémoire de travail est très sollicitée par la production écrite qui comporte trois composantes principales : la formulation, l’exécution graphomotrice et le contrôle.

• La formulation est le processus le plus coûteux en capacité cognitive car il faut planifier ses idées et les traduire en mots. Selon les chercheurs, le calepin visuo-spatial récupérerait les idées sous forme d’images mentales et la boucle phonologique serait impliquée dans la « traduction » de l’idée en mots ; la mémoire de travail est donc au premier plan de ce travail de formulation.

• L’exécution grapho-motrice, elle, semble peu impliquer la mémoire de travail et reposer davantage sur la mémoire procédurale, du moins quand l’automatisation de l’écriture s’est achevée.

• Le contrôle de l’écrit produit intervient à différents moments de la rédaction ; d’une part par la lecture de ce qui est écrit, ce qui permet d’évaluer le texte en fonction de la représentation de celui-ci construite en amont et, d’autre part, par l’édition de ce qui est écrit en effectuant des corrections ou des modifications. La lecture et l’édition sollicitent donc énormément la mémoire de travail et, plus particulièrement, la boucle phonologique.

Lorsque ces processus « rédactionnels » sont automatisés, des ressources cognitives sont libérées et allouées à des processus de « haut niveau » comme la capacité de faire des inférences sur le texte produit.

Mémoire de travail et mathématiques

La mémoire de travail joue également un rôle très important dans le domaine des mathématiques et ce, dès les premiers apprentissages numériques de l’enfant. Pour dénombrer une collection, même de faible quantité, il faut que les mots-nombres constituant la comptine numérique soient récupérés dans la mémoire à long terme et maintenus actifs grâce à la boucle phonologique. Le calepin visuo-spatial est également sollicité car l’enfant doit se souvenir des éléments qui ont déjà été dénombrés pour ne pas les compter deux fois et cette information doit régulièrement être mise à jour à chaque comptage d’élément.

Les enfants qui ont de faibles capacités de mémoire de travail seront donc plus lents et commettront davantage d’erreurs dans le dénombrement que des enfants ayant des capacités normatives des enfants du même âge.

Le transcodage numérique, c’est-à-dire la production de nombres sous la dictée, est également affecté par une faible mémoire de travail ; la boucle phonologique peine à maintenir en mémoire de travail l’encodage des nombres lorsqu’ils sont présentés brièvement, comme dans le cas d’une dictée.

Pour ce qui concerne le calcul, les données scientifiques concernant le rôle de la boucle phonologique sont contradictoires ; par contre, le calepin visuo-spatial est impliqué dans la présentation visuelle de l’opération. En 2005, une étude portant sur des enfants présentant des difficultés spécifiques en mathématiques a montré que ces enfants avaient des performances plus faibles que la moyenne des enfants du même âge dans des tâches impliquant la mémoire de travail.