Par Mélanie Dolidon
Extrait de son livre HPI : l’intelligence n’est pas une maladie
Neuromythe : Les surdoués sont en échec scolaire
Les enfants HPI s’ennuieraient en classe et finiraient par ne plus y trouver leur place. Ils penseraient différemment et leur façon d’apprendre serait trop déviante pour les méthodes pédagogiques proposées par l’Éducation nationale, qui ne tiendraient pas compte de leurs besoins particuliers. Apparemment, ce ne sont pas des besogneux, ils ne savent pas travailler. Ils trouvent toutes les réponses sans savoir comment, grâce à leur sixième sens de surdoués sans doute, et sont souvent punis pour leur manque de respect des protocoles.
Certaines associations de parents d’enfants précoces annoncent des chiffres allant jusqu’à 30 %, voire 50 %, des élèves HPI en situation d’échec scolaire. Et ça ne s’arrête pas là. Certains médecins valident et encouragent le phénomène, en acceptant de remplir des dossiers à l’attention de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées) avec pour motif aux demandes d’adaptations scolaires un haut quotient intellectuel, spécifié dans le dossier dans la catégorie « atteinte cognitive ». Mesdames et Messieurs, l’intelligence est une atteinte cognitive, vous avez bien lu. Mais qui pourrait blâmer ces médecins et ces parents quand ces croyances sont si abondamment répandues par les médias et de nombreuses publications soi-disant scientifiques ?
Que dit la science ?
Étrangement, les études solides sur le sujet tendent plutôt à montrer que plus on est intelligent, plus on réussit à l’école. Incroyable, non ? En 2018, cette étude de Guez, Peyre et al., évoquée dans l’article de Franck Ramus « La pseudoscience des surdoués », nous éclaire de façon particulièrement éloquente sur la question.
Ce nuage de points croise deux informations : la note sur 20 obtenue au brevet en fonction du QI. On observe que les notes augmentent de façon linéaire avec l’intelligence. Plus on est intelligent et plus on réussit à l’école, tout simplement.
Comme le souligne le Dr Ramus, il n’y a dans ce graphique aucune rupture après la barre des 130. Si les statistiques étonnantes qui annoncent que près d’un surdoué sur deux est en échec scolaire sont vraies, on devrait voir les scores se diviser en deux au-delà d’un QI de 130, avec un nuage de points en haut (les HPI en réussite) et un nuage de point en bas (les HPI en échec). Or, il n’en est rien. Il y a une corrélation positive continue entre les résultats scolaires et le QI.
Comment expliquer les chiffres très élevés d’échec scolaire annoncés par les associations de parents d’enfants HPI ? C’est très probablement lié à un biais d’échantillonnage. En effet, les parents qui sont les plus susceptibles de se mobiliser au point de s’investir dans une association sont ceux dont les enfants sont en souffrance à l’école. Il peut y avoir de nombreuses raisons à cela, tout à fait indépendantes du HPI. Et quand on regarde de plus près, on réalise qu’il y a dans la grande majorité des cas des troubles associés (troubles dys, troubles attentionnels, autistiques, psychopathologiques, etc.) qui expliquent mieux les difficultés scolaires. Le problème est que pendant très longtemps, et encore aujourd’hui, les troubles associés dont peuvent tout à fait souffrir les enfants HPI sont invisibilisés par le concept de dyssynchronie.
Ce trouble dys pas comme les autres serait propre aux HPI. Concept créé par Jean-Charles Terrassier, psychologue niçois, il décrit des situations de développement à plusieurs vitesses. Parfois, ce serait la motricité qui ne suivrait pas la vitesse fulgurante du développement cognitif, créant des symptômes très, très proches de la dysgraphie ou de la dyspraxie (mais ce n’est pas une dyspraxie, on vous assure, c’est une dyssynchronie psychomotrice, ça n’a rien à voir !). Pour d’autres, il s’agirait plutôt d’une dyssynchronie affective qui créerait de l’immaturité (ah, ces enfants puérils, c’est terrible). Enfin, d’autres encore auraient une dyssynchronie sociale, tels des Ferrari forcées à rouler à l’allure d’une 2CV, ces enfants s’agiteraient et développeraient tous les symptômes d’un TDA/H (mais, là encore, rien à voir avec un vrai TDA/H, rassurez-vous ! Même si tous les symptômes sont là…).
Toutes ces informations peuvent se trouver dans l’ouvrage Les enfants surdoués ou la précocité embarrassante de Jean-Charles Terrassier, paru en 1981. Mais ce qui est le plus embarrassant dans cette histoire, c’est de constater que des idées qui datent à présent de plus de 40 ans, bien avant qu’un grand nombre de découvertes en neurosciences aient révolutionné notre vision du développement intellectuel de l’enfant, continuent de se propager, alors qu’elles sont en contradiction avec la clinique contemporaine.
Notre connaissance des troubles spécifiques des apprentissages permet aujourd’hui d’invalider ce modèle. Tout comme les « dysharmonies » ont été rayées de la carte au profit des troubles du neurodéveloppement (et en particulier des troubles autistiques), il est temps de mettre cette idée de dyssynchronie là où est sa place : dans les archives du musée des diagnostics. Les enfants HPI qui sont en difficulté ou en échec ont bien souvent un trouble du neurodéveloppement associé qui est bien réel et indépendant de leur niveau intellectuel.
Il doit être diagnostiqué et soigné proprement et non invisibilisé au nom d’une « dyssynchronie » sans aucun fondement scientifique. Il existe aujourd’hui des méthodes efficaces pour prendre en charge la dysgraphie, par exemple, avec des outils de rééducation mis en place par un ergothérapeute ou encore la mise à disposition d’un ordinateur.
Ne pas permettre aux enfants dys et HPI d’en bénéficier est une perte de chance et une discrimination. La dyssynchronie est un mythe qui dessert en réalité les enfants surdoués porteurs d’un trouble associé en faisant écran à une démarche diagnostique rigoureuse. Le raisonnement est que « s’il est HPI, il est normal qu’il soit dysfonctionnel sur certains plans de son développement donc cela n’est pas utile de mettre en place des bilans plus poussés ou des rééducations complémentaires ».
Cette notion de dyssynchronie était cohérente avec celle de « précocité intellectuelle » qui sous-entend que l’enfant serait « en avance » sur son propre développement. Une partie de lui avance à toute vitesse et une autre au ralenti, avec pour résultat de la confusion, de la maladresse, de l’immaturité. Or, cette conception d’avance ou de retard mental est aujourd’hui totalement dépassée. Les enfants surdoués ne sont pas en « avance » sur leur horloge biologique. Nous savons aujourd’hui que le QI est stable tout au long de la vie, sauf cas exceptionnels (réparation d’une carence affective ou soin apporté à un trouble, par exemple).
Le retard ou l’avance ont longtemps été associés à la pathologie dans l’histoire de la psychologie. Aujourd’hui, la psychologie du développement fait clairement la différence entre un simple décalage à la norme, qui n’entraîne pas de difficulté particulière, et une atypie développementale, qui implique une trajectoire clairement distincte, avec des fonctions clairement altérées ou différentes de la norme. La dyssynchronie superpose abusivement le décalage et l’atypie, ce qui est la raison de la confusion conceptuelle qu’elle génère. Le HPI est un décalage, le trouble associé est une atypie. Ils sont strictement indépendants et doivent être considérés et traités comme tels.
Concernant l’étude de Guez, Peyre et al. menée en 2018 auprès de collégiens, elle montre qu’aucun des adolescents surdoués de cette cohorte de 35 000 élèves n’est en échec scolaire. Quand on revient à la définition historique du QI, cela n’est pas étonnant. Les tests de QI ont été inventés pour prédire la réussite scolaire. Quelle misérable invention cela serait si ceux qui les réussissent le mieux étaient les plus susceptibles d’échouer à l’école ! En effet, en 1905, le psychologue Alfred Binet et le psychiatre Théodore Simon collaborent pour répondre à une demande du gouvernement français. L’école est à présent obligatoire pour tous, mais certains enfants en grande difficulté ne pourront pas suivre un parcours normal. Le but de l’échelle Binet-Simon est d’évaluer les enfants le plus tôt possible pour les orienter vers des structures adaptées si besoin. Ils ont pour cela mis au point un outil de calcul d’un âge mental, exprimant le décalage avec ce qui était attendu à un âge donné. Le premier test d’efficience intellectuel était né.
Ce résultat a été largement répliqué dans une autre étude menée par Roth et ses collaborateurs en 2015. Sur un panel de 105 185 étudiants, une corrélation positive a été démontrée entre l’intelligence et la réussite scolaire. Cette corrélation se renforce avec les années, l’intelligence devenant un facteur de plus en plus décisif dans la poursuite des études. Cet avantage scolaire se poursuit par la suite dans la vie professionnelle. Le chercheur Hunter montre à l’occasion de plusieurs études auprès de cohortes au cours de sa carrière que le meilleur prédicteur de la performance professionnelle est le QI, bien au-delà de l’expérience, du niveau d’études ou des connaissances à propos du domaine professionnel en question. Conclusion : les surdoués performent à l’école et au travail, sans discontinuer.
Le verdict : le risque d’échec scolaire des HPI est un neuromythe !
Pour aller plus loin :