Par René Pry et Éric Pernon
Extrait du livre Autisme, Le passage à l’âge adulte
Dans l’autisme, la problématique d’un diagnostic tardif concerne essentiellement les personnes chez lesquelles on ne note pas de déficience intellectuelle associée. Par définition, donc, dans le trouble du spectre de l’autisme sans déficience intellectuelle (TSA-SDI), les personnes concernées ont des capacités de communication verbale et un niveau cognitif – appréciés au moyen d’épreuves standardisées –, qui se situent dans la moyenne, ou au-delà, des personnes de même âge. On estime que ces adultes TSA-SDI représenteraient au moins 50% de la population adulte avec TSA.
Mais, alors qu’une partie de ces personnes ont été diagnostiquées dès leur enfance, beaucoup d’autres ne sont repérées qu’à l’âge adulte. Malgré un nombre croissant de diagnostics posés après 18 ans, les adultes avec TSA-SDI sont souvent repérés tardivement, voire pour certains jamais diagnostiqués.
De façon constante, les femmes semblent être diagnostiquées à un âge plus avancé que les hommes. Ce diagnostic plus tardif conduit à faire l’hypothèse d’un déterminant : réelle différence de phénotype non repérée par les outils d’aide au diagnostic et les critères cliniques actuels ? Et/ou des facteurs indépendants du trouble, tels que des ressources différentes entre hommes et femmes ? Ou des facteurs sociologiques relatifs au genre ?
Quatre adultes sur cinq déclarent rencontrer des difficultés pour accéder à une valuation diagnostique et obtenir un diagnostic officiel. Ils sont également nombreux à faire l’objet d’erreurs de diagnostic. Lai et Baron-Cohen vont jusqu’à décrire ces adultes non repérés dans l’enfance et repérés tardivement comme une « génération perdue » ( « lost generation » ). Le corpus de connaissances concernant les adultes avec TSA-SDI est encore limité, et porte la plupart du temps sur des échantillons anglo-saxons.
Toutefois, nous disposons aujourd’hui de données concernant un échantillon français d’une centaine personnes (105 exactement : 80 hommes et 25 femmes) relevant de ces caractéristiques. On note que dans la grande majorité des femmes le niveau cognitif non verbal (QINV) se situe dans la moyenne ou au-delà, avec un profil autour de la moyenne plus homogène (variabilité moindre) que chez les hommes. De plus, ce profil semble rester stable tout au long de la vie adulte. Chez les hommes, le niveau cognitif non verbal à l’âge adulte est meilleur chez ceux diagnostiqués tardivement que chez ceux qui ont été diagnostiqués dans l’enfance.
L’association entre un QINV dans la moyenne et un diagnostic tardif ne peut laisser suggérer que le QINV serait associé à une symptomatologie modérée dans la mesure où à l’âge adulte il n’existe pas de liaison entre ces deux variables. En revanche, le QINV pourrait permettre une meilleure compensation et retarder l’émergence de difficultés significatives entraînant le diagnostic.
Sur le plan du développement du langage, une apparition tardive (après 2,5 ans) ne concerne qu’une minorité des personnes avec TSA (26,7% des hommes et 17,4% des femmes). Par ailleurs là encore, les hommes diagnostiqués à l’âge adulte présentent moins souvent un développement atypique que ceux diagnostiqués dans l’enfance. Cela inciterait donc à relativiser la port e de ce critère pour le diagnostic de l’autisme à l’âge adulte. Toutefois, en général, la proportion des personnes autistes présentant un développement atypique du langage reste significativement plus à levée que dans d’autres troubles psychopathologiques, ce qui incite à la prudence.
Contrairement à ce qui a pu être avancé, au moins un homme sur deux et une femme sur deux présentent à l’âge adulte des symptômes persistants, d’intensité moyenne à levée selon les domaines, et sont nombreux à exprimer des difficultés liées à leur TSA.
Sur le plan socio-communicatif, le profil qui se d gage recoupe celui dressé par Roy et coll. avec le même type de population : hommes et femmes contrôleraient de la même façon l’utilisation de stéréotypies dans leur communication verbale, maitriseraient des scripts relatifs aux comportements dans la vie quotidienne, disposeraient d’un répertoire pour répondre à autrui de manière adéquate. En revanche, des difficultés importantes persisteraient dans des aspects centraux de l’interaction : capacité à alimenter le discours en fonction de l’interlocuteur, à enrichir le contenu de la communication, à entrer en contact avec autrui et développer ce contact, ainsi que, chez les hommes, à maintenir un contact visuel approprié. La sévérité de ces symptômes pourrait en outre peu évoluer entre l’enfance et l’âge adulte, puis tout au long de l’âge adulte. L’interaction demeure ainsi toujours un exercice probablement coûteux : 45% des hommes et 55% des femmes font état d’un besoin d’isolement.
Ce profil pourrait se situer à mi-chemin entre les deux types de profils déjà identifiés par Rau, même si son étude portait sur des sujets jeunes et dont l’âge de diagnostic n’est pas connu : un groupe moins sévère, dans lequel la personne est capable d’initier le contact mais ne sait pas toujours comment le maintenir ou le développer ; un autre groupe dans lequel les personnes présentent moins de difficultés de langage mais des difficultés importantes en ce qui concerne les interactions sociales.
Pour ce qui est des intérêts restreints, leur niveau de sévérité laisse penser que ces comportements demeurent handicapants à l’âge adulte, à égalité dans les deux sexes. En outre, plus de 50% des hommes et des femmes expriment des difficultés dans les comportements suivants : hypersensibilités sensorielles, rigidité, intérêts restreints, ainsi que stéréotypies et maniérisme chez les hommes. Ce constat reflète ce qui est déjà rapporté dans les études ayant exploré un ou plusieurs de ces aspects. Toutefois, ce domaine de symptômes est le seul où une amélioration significative est observée au long de la vie adulte, chez les hommes entre 18-24 ans et 35-59 ans.
Concernant la question de la différence entre les hommes et les femmes, les données pointent en faveur d’une absence de différence. Cependant les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à s’identifier aux caractéristiques du trouble dans les réponses auto-rapportées. Une piste serait peut-être de considérer que les réponses des femmes restituent un vécu différent du trouble, provenant d’une conscience plus importante de leurs difficultés et des efforts plus grands qu’elles doivent mettre en oeuvre pour soutenir de coûteuses stratégies de camouflage et de compensation.
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