Par Michèle Mazeau
Préambule du livre Prise en charge et rééducation des troubles dys-
Une inquiétude, un retard dans un domaine, un trouble suspecté ou même déjà diagnostiqué, et « on » (un paramédical, un médecin, l’enseignant, un ami) a suggéré ou prescrit une (ou des) rééducation(s).
En quoi cela consiste-t-il ? Qu’en attendre ? Comment « juger » de la pertinence et/ou de l’efficacité de ce qui est proposé à l’enfant ? En fait-on « trop » (l’enfant est fatigué, il y va à reculons, il s’enfonce dans l’échec) ou « pas assez » (il a d’autres difficultés pour lesquelles il n’est pas aidé, pas rééduqué, ou bien il progresse mais lentement) ou « pas bien » (est-ce le « bon » rééducateur ? ou bien a-t-il la « bonne » méthode ?) ?
Quand s’inquiéter ? C’est là la première question, celle qui doit précéder toute prise en charge rééducative :
– ni trop tôt : on risquerait de surcharger inutilement l’emploi du temps d’enfants en cours d’apprentissage sans leur laisser le temps, différent pour chacun, d’y parvenir, allongeant alors indûment les listes d’attente des professionnels.
– ni trop tard : l’enfant ayant déjà vécu tant de difficultés et d’échecs qu’il ne peut plus ni « rattraper » – partiellement – son retard, ni s’investir dans des efforts auxquels il ne croit plus.
C’est, normalement, un médecin qui, ayant prescrit l’ensemble des bilans concernant la difficulté évoquée (en langage, en lecture, en écriture, en mathématiques, etc.) et possédant l’ensemble des informations concernant l’enfant (histoire familiale et personnelle de l’enfant, antécédents médicaux, traitements éventuels en cours, etc.), dispose de la totalité des éléments décisionnels : s’agit-il d’une difficulté banale, d’un jeune qui a juste besoin d’un peu plus de temps pour accéder à tel ou tel apprentissage, ou bien au contraire – l’anamnèse, les productions scolaires, les résultats des différents bilans déjà pratiqués – montrent-ils qu’il s’agit d’un trouble, un obstacle pérenne que rencontre l’enfant du fait d’une configuration cérébrale subtilement atypique, d’un développement inhabituel dans le domaine considéré, donc d’un « dys- » ? Dans ce cas, le médecin prescrira les soins utiles (rééducations, médications, adaptations, compensations) et en assurera le suivi au long cours, en lien étroit avec l’enfant et sa famille.
Cependant, concrètement, il faut bien reconnaître qu’il est bien rare que les choses se déclinent ainsi. Le plus souvent, les parents ou l’enseignant s’inquiètent de difficultés dans tel ou tel domaine ; ils sollicitent l’avis d’un orthophoniste (plus rarement d’un ergothérapeute ou d’un psychomotricien). Ce dernier fait passer des tests, des bilans, des évaluations, observe des décalages par rapport aux attendus pour l’âge et, dans la foulée, propose des séances de rééducation afin de tenter de réduire le décalage qu’il a constaté.
Ce scénario, habituel, pose de nombreuses questions :
– Le rééducateur qui a fait un bilan dans son domaine de compétence, peut-il, à lui seul, faire un diagnostic de dys- ? La réponse est clairement « non », sauf et uniquement en ce qui concerne le diagnostic de dyslexie sous la seule responsabilité de l’orthophoniste (car le bilan orthophonique suffit, à lui seul, pour le diagnostic). Dans tous les autres cas (dyspraxies, dysphasies, dysgraphies, TDA/H, dyscalculies, etc.1), d’autres examens et bilans sont requis (différents dans chaque cas) pour aboutir au diagnostic : d’où la nécessité d’une synthèse de tous ces examens, synthèse qui ne peut être assurée que par le médecin.
– Si plusieurs rééducateurs sont sollicités pour des avis et bilans (psychomotricien et ergothérapeute, orthophoniste et orthoptiste, orthophoniste pour le langage et orthophoniste pour le calcul, orthophoniste pour la lecture et ergothérapeute pour le graphisme, etc.), différentes rééducations seront entreprises simultanément, juxtaposées sans coordination ni cohérence entre elles, sans qu’il soit possible à chacun de faire le lien entre les différents troubles et leur impact global dans la vie de l’enfant. Là encore, c’est le médecin qui doit établir des priorités en fonction de l’intensité des troubles, de leurs conséquences prévisibles pour l’avenir de l’enfant, mais aussi de critères qui tiennent à la connaissance médicale de cet enfant-là et de sa famille.
Or, force est de constater que, faute d’un enseignement concernant le développement cognitif de l’enfant au cours de ses longues années d’études, le médecin – à l’exception de quelques-uns souvent personnellement concernés par la problématique DYS – est souvent tout aussi démuni que les familles. De ce fait, n’intervenant qu’à la toute fin du processus qui a conduit à faire pratiquer tel ou tel bilan spécialisé, le médecin n’est que le prescripteur « administrativement obligé » de rééducations dont il maîtrise malheureusement mal tant les indications que les contenus.
Mais la Haute Autorité de Santé (HAS) désigne désormais le médecin de l’enfant (généraliste, pédiatre ou autre2) comme premier maillon de la chaîne diagnostique des troubles neurodéveloppementaux (TND) et donc des DYS. Des livrets aidant au repérage et au suivi de ces troubles sont désormais à disposition de tous les médecins3. Par ailleurs, pour permettre une meilleure connaissance de ces troubles et des actions à mettre en oeuvre, de nombreuses formations sont proposées et des ouvrages pratiques sont disponibles4. Cependant, il est évident qu’il faudra encore un certain temps avant qu’une majorité de praticiens soit suffisamment informée.
Cette situation – qui prive de nombreux enfants et parents de l’avis autorisé d’un médecin coordinateur bien au fait de ces troubles – fait peser sur les familles la responsabilité du choix, de la durée et même de la supervision de la (ou des) rééducation(s). Souvent soumis aux avis contradictoires des uns ou d’eux-mêmes plus ou moins bien informés, les proches se sentent tout à fait démunis pour jouer ce rôle.
Or, dans ce domaine comme dans tout ce qui concerne la santé et la médecine, il est très important que les parents s’emparent de connaissances essentielles, afin d’aider leur enfant de la façon la plus pertinente et de pouvoir se poser véritablement en partenaires des soignants (médecins, psychologues, rééducateurs) et des administrations (MDPH).
C’est pourquoi dans le livre Prise en charge et rééducation des troubles dys-, nous donnons les clés qui gouvernent toutes les rééducations visant les troubles dys-, les éléments fondamentaux qui permettent à chacun de comprendre, d’interroger et de soutenir les actions thérapeutiques proposées pour leur enfant.
Les médecins, psychologues et rééducateurs (et les étudiants de ces filières) y trouveront aussi, clairement détaillée et motivée, la description du socle – trop souvent implicite – sur lequel doivent se construire tous les projets de rééducation. À chacun ensuite de l’adapter et le mettre en oeuvre au plus près des besoins spécifiques de chaque enfant, de le faire évoluer au fil des mois avec pertinence et empathie.
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1. Dysphasies, TDLO : troubles du développement du langage oral – Dyspraxies, TDC : troubles du développement de la coordination motrice – Dyslexie/dysorthographie : troubles de l’apprentissage de la lecture/ orthographe – Dysgraphies : troubles de l’apprentissage du geste d’écriture manuelle – Dyscalculies, innumérisme : troubles des acquisitions numériques – TDAH : trouble déficitaire de l’attention, avec ou sans hyperactivité (à rapprocher du syndrome dys-exécutif)
2. Médecin scolaire, médecin de PMI, médecin de telle ou telle spécialité…
3. cf. par exemple : https://www.has-sante.fr/jcms/p_3161334/fr/troubles-du-neurodeveloppement-reperage-et-orientation-des-enfants-a-risque
4. M. Mazeau, G. Dehaene-Lambertz, H. Glasel & C. Huron, Les troubles dys avant 7 ans – Elsevier Masson, à paraître en septembre 2022.
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Photo by olia danilevich