Par Magali Rebattel et Mathilde Royol

Extrait du livre Mon enfant est harcelé

Les enfants en situation de harcèlement

Il est important de souligner qu’il n’existe pas de profil type d’enfants harcelés. Il n’apparaît pas de caractéristiques semblables, immuables et intrinsèques à l’enfant harcelé qui provoqueraient le harcèlement. La première cause de harcèlement, c’est une mauvaise rencontre, souvent due au hasard, avec un enfant (ou plusieurs) qui va le prendre comme objet de persécution. Peut-on être responsable de cela ? NON ! La responsabilité est, et sera, toujours du côté de l’enfant auteur de harcèlement, lui-même objet d’effets de groupe néfastes. Nous verrons cela dans le paragraphe suivant.

Bien que certains enfants puissent être plus ciblés en raison de diverses stigmatisations et divers préjugés sociaux, il est fort probable que tout enfant, quel que soit son profil, puisse un jour représenter une cible de harcèlement scolaire. Ce qu’on sait, c’est qu’une situation de harcèlement éclot fréquemment aux abords d’un contexte institutionnel difficile (mauvais climat scolaire dans une école par exemple) et/ou d’un contexte personnel déroutant (changement d’école par exemple) et que c’est fréquemment la rencontre malheureuse entre ces différents éléments qui va gouverner la qualité du lien qui s’établit entre les enfants.

Les enfants harceleurs

Tout comme pour les enfants en situation de harcèlement, les enfants en position de harceler un autre enfant n’appartiennent à aucune logique catégorielle : personne ne peut établir un profil-type de l’enfant harceleur.

Quand nous regardons au cas par cas les personnalités des enfants harceleurs, on peut retrouver des motifs et des profils très différents1. Certains sont sujets à une problématique personnelle qui rend les élans impulsifs, agressifs plus difficilement maîtrisables. Ils peuvent avoir des difficultés à exprimer leurs émotions, à communiquer leurs peines, leurs frustrations ou leurs déceptions. Certains encore peuvent avoir du mal à se débrouiller dans des situations de conflits, dans leur rapport à l’autre, dans leur rapport au groupe. D’autres encore ayant eu une réussite suite à une stratégie d’intimidation sans conséquence peuvent avoir tendance à la généraliser suite au bénéfice qu’ils en ont retiré : un objet, de la popularité, une reconnaissance du groupe, etc2.

Il y a également ceux dont l’éducation a négligé la loi de la non-violence à la maison, l’enfant transférant alors directement à l’école les lois qui gouvernent son milieu familial depuis toujours (par exemple : imitation des modalités relationnelles familiales, dénigrement, agressivité, hostilité, etc.). Il est en effet fréquemment reconnu qu’un enfant maltraité maltraite à son tour. Nous observons d’ailleurs un processus similaire lorsque nous constatons que l’on retrouve souvent un passé d’enfant harcelé chez l’enfant harceleur.

Enfin au primaire, voire parfois en maternelle, les petits enfants ignorent le plus souvent les effets néfastes de leurs comportements sur les autres et s’y adonnent le plus souvent avec « légèreté » et insouciance, pour s’amuser, « pour rigoler », sans se rendre compte des conséquences et des répercussions à long terme (d’où d’ailleurs l’importance d’une sensibilisation précoce).

Il faut que les instances éducatives, les instances judiciaires (en cas de gravité) et les instances de la santé se penchent ensemble sur la problématique personnelle de l’enfant harceleur afin de proposer un accompagnement individualisé (éducatif, social et/ou thérapeutique), d’autant que des études, en particulier menées au Québec, ont démontré le risque accru pour ces enfants de développer à l’âge adulte des comportements dits antisociaux dans leurs différents de milieux de vie (travail, loisirs, vie de famille). 

Ceci étant dit, nous pouvons également regarder en direction des recherches actuelles qui proposent de considérer la situation – et donc de traiter la situation – sous un angle différent, mais complémentaire, au-delà de la problématique unique de l’enfant harceleur, dans une dimension groupale.

Le harcèlement : une situation groupale

« Expliquer l’émergence du harcèlement uniquement par l’existence de profils de personnalités reviendrait à simplifier et gommer la réalité3 ».

Citation de Violaine Kubiszewski, chercheuse en psychologie.

Pour cette chercheuse en psychologie de l’Université de Franche-Comté, spécialiste des questions autour de l’amélioration du climat scolaire, le contexte et les dynamiques de groupe expliquent en partie les comportements des enfants et adolescents, au-delà de la question de la problématique personnelle de l’enfant harceleur.

En effet, il est habituellement admis que les acteurs qui jouent la scène du harcèlement sont plusieurs : un ou plusieurs enfants harceleurs, un groupe témoin de la scène et un enfant victime (dont il est difficile de dire qu’il est « acteur », nous dirons plutôt qu’il est un élément, malgré lui, de la scène). Et il faut ces trois éléments pour que le harcèlement puisse prendre corps. Cela signifie que c’est avant tout une question de phénomènes malheureux de groupe.

Afin de réfléchir à cette difficile question, nous pouvons déjà nous appuyer sur la figure commune et connue de tous du « bouc-émissaire », qui met en lumière ce que peut révéler une situation de harcèlement scolaire de la vie d’un groupe et de la fonction imposée à l’enfant en situation de victime. Arrêtons-nous quelques instants sur cette figure :

Dans les temps anciens, la désignation d’un bouc émissaire faisait partie d’un rituel de purification d’un lieu ou d’une société. Il pouvait s’agir d’un animal, mais aussi d’un individu qui était soit tué, soit chassé de la communauté, emportant avec son départ, « les fautes » de cette communauté. La violence de chaque membre de la communauté, ainsi canalisée, permettait de réguler l’ordre social en évitant que la violence soit agie entre les membres du même groupe. Ce transfert de responsabilité et de culpabilité sur le bouc émissaire préservait l’existence du groupe.

René Girard, anthropologue, nous met en garde, dans son ouvrage La violence et le sacré, en affirmant que depuis la nuit des temps, le meilleur moyen de renforcer l’unité d’un groupe est de lui présenter un ennemi commun ! Pour illustrer simplement, nous retrouvons souvent ce mécanisme dans nos familles : nous observons souvent à quel point il est facile de réconcilier une fratrie suite à une punition commune, quand ils peuvent nous prendre facilement comme objet commun de colère ! Inconsciemment, le groupe se fédère en désignant un bouc émissaire et retrouve une unité.

Il semble bien que dans le cas du harcèlement scolaire, le fait de désigner un enfant comme bouc émissaire reflète quelque chose du groupe. En sociologie, on parlerait de mécanismes pour la « survie du groupe ». Il nous appartient donc, à nous adultes, personnel de l’Éducation nationale ou parents, de comprendre comment améliorer et soutenir la santé collective du groupe afin qu’il ne tombe pas dans ces processus primitifs. Pour contrer ces processus, il convient d’explorer toutes les idées favorisant une meilleure dynamique de l’ensemble du groupe. Trouver un objet commun à réaliser ensemble ou une cause commune à soutenir permet souvent de renforcer l’estime de soi de chacun des membres et combat, indirectement aux racines, le besoin d’élire un bouc émissaire.

Par exemple, certaines écoles agissent concrètement pour la défense de grandes causes et ceci participe à soigner l’ambiance du groupe et le climat scolaire en engageant le collectif des enfants. Les enfants s’associent pour des causes écologiques en participant aux journées de nettoyage des espaces naturels, pour des causes humanitaires en recueillant des denrées alimentaires pour les Restos du coeur, pour des causes sociales en organisant des visites dans des maisons de retraite, pour des causes sociétales en participant à la campagne de sensibilisation «  », etc.

Les parents peuvent réfléchir avec les professeurs à améliorer le lien entre les enfants d’un groupe et être force de proposition en soumettant des idées pour mettre en place ce type de projets au sein de l’école via l’association des parents d’élèves par exemple. Il est certain qu’un groupe qui va bien aura moins besoin de rejeter un de ses membres pour essayer de trouver un meilleur équilibre.

Comme nous l’avons vu précédemment à travers les rituels de purification, les motifs de discrimination ont toujours existé. Faisons un petit tour d’horizon de ceux-ci à travers le temps.

Pour aller plus loin, consultez le livre Mon enfant est harcelé.

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1. Voir Rapport québécois sur la violence et la santé – Institut national de santé publique du Québec (2018).

Document disponible sur le site https://www.inspq.qc.ca/rapport-quebecois-sur-la-violence-et-la-sante

2. Claire Beaumont, Comprendre l’intimidation et le harcèlement entre enfants pour bien les accompagner. Conférence destinée aux parents, Commission scolaire des Patriotes. McMaster ville, Québec (2015).

3. Dans Le Monde du 17/11/2021.