Par Florence Cabellan

Extrait du livre 100 idées pour mieux discerner difficultés et besoins spécifiques dès la maternelle

Dès 1886, la loi organique du 30 octobre confirme « intégration de l’école maternelle à l’édifice de l’école primaire dont elle devient le premier niveau ». Cependant, ce sont les instructions du 16 mars 1908 et le programme qui précisent qu’il s’agit d’« un commencement d’habitudes disciplinées et de curiosités intellectuelles sur lesquelles l’école primaire [pourra] s’appuyer pour donner plus tard un enseignement régulier ». La pédagogie est « celle qui s’inspire du nom même de l’établissement, c’est-à-dire qui consiste à imiter le plus possible les procédés d’éducation d’une mère intelligente et dévouée, méthode essentiellement naturelle, familière, toujours ouverte à de nouveaux progrès, toujours susceptible de se compléter et de se réformer » . Elle s’applique à respecter les différences de rythme et le peu de rigueur des jeunes enfants scolarisés « sans fatigue, sans contrainte, sans excès d’application ».  En 1965, une enquête prouve l’efficacité de l’école maternelle dans la prévention de l’échec scolaire en prenant en considération le taux de redoublement en cours préparatoire (CP). Dès 1975, la loi rappelle son rôle et souligne sa spécificité : « Sans rendre obligatoire l’apprentissage précoce de la lecture et de l’écriture, la formation qui y est dispensée favorise l’éveil de la personnalité des enfants. Elle tend à prévenir les difficultés scolaires, à dépister les handicaps et à compenser les inégalités ». Lors du débat qui suivit l’application de la loi, le député Legendre insiste sur le « risque majeur à oublier le caractère véritablement préscolaire de la maternelle pour vouloir y multiplier les apprentissages précoces ».1

Cependant, pour donner suite à la loi d’orientation de 1989 qui, avec les cycles pédagogiques, intègre l’école maternelle au primaire, certains enseignants ont proposé davantage d’activités laissant des traces écrites (fiches, exercices photocopiés…)  visibles par les parents au détriment des activités d’éveil et ont réduit les aménagements d’espace de jeux en autonomie dans leur classe. Les raisons étaient sans doute liées à la création d’un livret scolaire dès la petite section (PS) qui symbolisait le nouveau statut de l’école maternelle et sa continuité avec l’école élémentaire2. Afin de répondre à l’attente des enseignants du cours préparatoire, des professeurs des écoles de grande section ont multiplié les exercices sur fiches, mais l’accès rapide aux premières notions abstraites, sans confrontation au réel indispensable au développement cognitif, a fragilisé certains élèves qui ont développé un sentiment d’échec dès la maternelle. Ces activités renforçaient à la fois le sentiment d’efficacité des enseignants de grande section et la perte de confiance en soi d’élèves détenant un moindre bagage langagier et culturel.

Cette prise de conscience de la « primarisation » de l’école maternelle et de ses conséquences a été visible dans les textes et programmes de 1995 et 2008. Ceux-ci réaffirment successivement la spécificité de l’école maternelle : sa mission propédeutique primordiale, la progressivité et la place optimale réservée aux apprentissages en fonction des capacités des élèves. Ils soulignent l’importance de l’évaluation en vue d’adapter l’action pédagogique à leurs besoins. L’objectif institutionnel étant de combler les écarts et non de les renforcer. D’ailleurs, la loi de refondation de l’école de 2015 stipule qu’« elle tend à prévenir des difficultés scolaires, à dépister les handicaps et à compenser les inégalités. » L’École de demain , ouvrage rédigé par J.-M. Blanquer en 2016 souligne que « l’école maternelle doit […] être en mesure d’identifier plus systématiquement les difficultés et les besoins spécifiques des élèves. […] L’origine des troubles des apprentissages est souvent multifactorielle, c’est pourquoi l’enjeu est de mieux distinguer ce qui relève du médical et ce qui relève de l’école. »3 « La mission éducative de l’école maternelle comporte une première approche des outils de base de la connaissance, prépare les enfants aux apprentissages fondamentaux dispensés à l’école élémentaire et leur apprend les principes de la vie en société ».

Elle précise également que « la formation dispensée dans les classes enfantines et les écoles maternelles favorise l’éveil de la personnalité des enfants, stimule leur développement sensoriel, moteur, cognitif et social, développe l’estime de soi et des autres et concourt à leur épanouissement affectif. Cette formation s’attache à développer chez chaque enfant l’envie et le plaisir d’apprendre afin de lui permettre progressivement de devenir élève »4. Il est intéressant de souligner au passage les termes « former » et « formation » qui rapprochent les enseignants des élèves en éloignant le pôle du Savoir sur le triangle pédagogique et introduisent potentiellement la médiation. Ainsi la dimension « sensorielle » et « l’envie et le plaisir d’apprendre » dans un environnement propice au développement de « l’estime de soi » sont mis en exergue dans cette loi. Or, cela n’est envisageable que dans la mesure où l’enfant ne se sent pas démuni lors des apprentissages5.

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1. BOUYSSE, V. L’école maternelle française : histoire et problématiques actuelles. PowerPoint. Université Paris Descartes, 2015.

2. Article 5 du décret n° 90-788 du 6 septembre 1990 relatif à l’organisation et au fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires. Article D 321-10 du Code de l’éducation actuel.

3. BLANQUER, J.-M. L’École de demain – Propositions pour une Éducation nationale rénovée, Odile Jacob, 2016, p. 26 – références à Franck Ramus et Hervé Glasel.

4. Code de l’éducation, article L321-2.

5. CABELLAN, F. Les méthodes haptique et phonético-gestuelle dans l’apprentissage de la langue écrite en grande section de maternelle. Mémoire de recherche en sciences de l’éducation à l’Université Descartes, 2015.