Par Cédric Gueyraud, Anne-Sophie Casal, Anaïs Rognard et Léa Jacobelli
Extrait de notre nouveauté Jeu et troubles de l’attention
Le jeu libre se présente comme une situation de jeu naturelle, à l’initiative du joueur. Pour Ruebke (2009)1, le jeu libre peut se dérouler dans un environnement artificiel ou naturel à condition de présenter les caractéristiques suivantes :
– la liberté d’explorer et de choisir soi-même son jeu ;
– du temps en quantité suffisante pour entrer dans le processus de jeu et déployer la créativité des joueurs ;
– un espace sécuritaire sans que l’adulte ait à intervenir ;
– une multitude d’objets à disposition pour développer l’imagination.
L’idée de jeu libre s’oppose à l’idée de jeu dirigé, centré sur l’adulte, pour revenir à l’essence même du jeu. Pour Roger Caillois, le jeu est une activité libre, séparée, incertaine, improductive, réglée et fictive2. En 2005, Gilles Brougère actualisera cette définition en proposant de mettre en valeur cinq caractéristiques du jeu : le second degré, la décision, la règle, la frivolité et l’incertitude3.
En d’autres termes, le jeu offre au joueur la possibilité de prendre de la hauteur sur la situation pour faire preuve de second degré. À ce titre, le jeu doit être maîtrisable par le joueur qui doit également avoir la liberté de choix, de décision tout au long de la séance de jeu. Par ailleurs, « Jouer, c’est s’obliger4 » (Jacques Henriot) : le joueur doit en effet ordonner son comportement en se soumettant à une règle du jeu. Il y a toujours une règle à suivre dans le jeu : soit la règle du jeu qu’on respecte, soit la règle qu’on s’invente et qu’on peut faire évoluer au gré de ses envies, notamment avec le jouet. De plus, à chaque moment du jeu, la concentration est en partie liée au sentiment d’incertitude : le joueur n’est jamais certain de l’issue d’un jeu, et c’est en partie cette incertitude qui le met dans une tension proche ou synonyme d’expérience optimale ou flow5 (Mihaly Csikszentmihalyi). Enfin, il doit y avoir dans le jeu une certaine légèreté, une frivolité qui dédramatise l’enjeu et qui permet au joueur d’exprimer au mieux l’ensemble de ses ressources : cognitives, sociales, affectives…
En bref, le jeu doit être centré sur les besoins, les intérêts et les compétences du joueur. Il doit toutefois présenter un défi, un enjeu, qui paraît accessible à celui qui s’y soumet. Enfin, l’activité doit être perçue comme suffisamment frivole pour que l’enjeu soit relativisé. Il s’agit donc souvent d’un jeu spontané, à l’initiative de l’enfant et qui peut être plus ou moins facilité par l’environnement.
Depuis 1960, les ludothèques ont très largement contribué à défendre l’idée de jeu libre et ont su mettre en valeur l’intérêt de proposer ce type de jeu. Dans le courant anglo-saxon se retrouve l’idée de créer des ludothèques à destination d’enfants porteurs de handicaps. Ces institutions sont pensées en vue de développer les potentialités de ces enfants par le choix d’un matériel ludique adapté à leurs besoins physiques et mentaux. Elles se proposent d’aider l’enfant à surmonter son handicap et peuvent avoir des visées rééducatives ou plus simplement offrir un espace de distraction. En effet, selon le Dr Stuart Brown, fondateur du National Institute for Play en Californie, « Play is a transformative force », le jeu est une force du changement qui présente des effets bénéfiques sur la santé des individus car il augmente la résilience, l’adaptabilité ou encore l’optimisme des joueurs. On voit ainsi, dès l’origine de la création des ludothèques, se développer l’idée de ludothérapie : « Le jeu libre, sans aucune direction ou interprétation de la part des adultes, a été considéré comme pouvant guérir des troubles affectifs par les adeptes de la thérapie par le jeu6 » (Anne Libbrecht-Gourdet).
Néanmoins, en France, l’aspect thérapeutique n’est pas du tout mis en valeur au profit des aspects culturels, sociaux et éducatifs qui occupent la place. De fait, la médiation « Jeu et TDAH » souhaite importer plus largement le modèle anglo-saxon, afin de penser la situation de jeu libre dans des espaces thérapeutiques.
Si le jeu est de plus en plus utilisé dans des approches non pharmacologiques, il est encore parfois difficile de sortir de l’idée du « Serious game » ou jeu dirigé. Ce dernier est construit au regard d’objectifs comportementaux, fonctionnels ou cognitifs, parfois trop éloignés de la situation de jeu naturel qui, pourtant, révèle ses propres intérêts thérapeutiques. Tout l’art, toute la compétence du professionnel sera alors de favoriser une situation de jeu libre dans un contexte artificiel (celui du cabinet), dans un temps et un lieu préalablement déterminé.
Jeu libre et enfants TDAH
En faisant accéder l’enfant à un espace de liberté, le jeu libre permet d’identifier les intérêts et les compétences des enfants. Il permet également l’exercice de différentes habiletés cognitives, motrices, affectives et sociales, tout en offrant un espace d’autonomie, de liberté et de créativité.
En ordonnant le comportement et en offrant un but choisi et désiré par l’enfant, le jeu libre incite à la concentration et au développement des capacités attentionnelles. Pour Jean Château, c’est cette attitude ludique qui permet au joueur de se détacher complètement de ce qui l’entoure pour centrer son attention sur l’objet de jeu7.
La pratique d’un jeu plus libre permettrait donc d’agir dans l’intention d’avoir un impact positif sur les fonctions attentionnelles, sur l’hyperactivité et sur l’impulsivité. Plus spécifiquement, le jeu libre contribue à travailler autour de la symptomatologie dysexécutive caractéristique du TDAH, dans un contexte très proche de celui des loisirs de l’enfant. En renforçant la qualité de jeu de l’enfant, le professionnel renforce les compétentes déficitaires du TDAH. Si ces apprentissages se font d’abord dans un cadre thérapeutique, l’objectif est de les transférer dans la vie quotidienne de l’enfant. À l’issue de cette médiation, les parents se seront alors accompagnés pour poursuivre cette démarche autour du « bien jouer » de leur enfant.
Le jeu libre et son cadre présentent donc des liens avec une démarche thérapeutique, qui pourraient donc être davantage portés à la connaissance des professionnels de santé. Cette mise en lumière leur offrirait une ouverture sur des outils et des façons de faire complémentaires à ceux qu’ils utilisent déjà dans leurs accompagnements.
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1. Cités par Mathieu Point et Claude Dugas dans Jouer pour apprendre en petite enfance (2016).
2. Roger Caillois, Les jeux et les hommes.
3. Gilles Brougère, Jouer / Apprendre.
4. Jacques Henriot, Le jeu.
5. Mihaly Csikszentmihalyi, Vivre : La psychologie du bonheur.
6. Anne Libbrecht-Gourdet, Créer une ludothèque, page 17.
7. Jean Château, L’enfant et le jeu (2e éd.) – Les éditions du Scarabée, 1967.
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