De Brigitte Mahillon et France Tillieu
Extrait du livre 100 idées pour enseigner la grammaire autrement
Où l’on se rend compte qu’en regardant de près des mots bizarres et inconnus, en scrutant leurs voisins, leur costume, leur place, on arrive à décrypter l’incompréhensible !
Point de départ
Le Jabrebocq, poème de Lewis CARROLL (1832-1898)*
Il brilguait; slictueux, les toves
Giraient et gimblaient sur les loignes ;
Mimeux étaient les borogoves,
Et la molmerase horgrippait.
(…)
Déroulement
Lecture à haute voix du premier quatrain.
« Dans quelle langue est écrit ce texte ? Comment le savez-vous ? Quels sont les indices ? » N. B. : ce texte est traduit de l’anglais.
« Quel en est le sens général ? À quel type de texte avons-nous affaire ? Quels sont les mots inventés ? Pouvez-vous reconnaître leur nature ? Comment ? Quels sont les mots qui ne sont pas inventés ? Auraient-ils pu être inventés ? »
Ensuite, lire le texte complet. Analyser le sens général quatrain par quatrain. Chaque enfant propose par écrit une courte phrase, un titre pour le résumer.
« Comment arrive-t-on à comprendre le sens du texte inventé ? »
Observer les paronymes : uffuse et confuse et des mots-valises : galomphant = galopant + triomphant.
Rechercher les paronymes.
Rechercher les mots-valises et les décomposer en deux mots.
« Comment peut-on reconnaître les noms communs ? Les verbes ? Le genre et le nombre des noms communs ? Les adjectifs ? »
« Comment peut-on reconnaître la fonction des mots ? »
Observer dans le premier quatrain les mots qui n’ont pas été modifiés. En faire la liste et analyser leur nature.
Traduire ce texte.
Notre traduction du Jabrebocq – (10 / 11 ans)
Il pleuvait ; boueux, les animaux
Hurlaient et gémissaient sur les collines ;
Sauvages étaient les loups,
Et la tempête soufflait.
(…)
Observations
• Même si nous nous amusons à écrire un texte en inventant des mots, il faut respecter l’ordre des mots propre à la langue française (l’ordre syntaxique), utiliser des suffixes correspondant à leurs natures, observer les règles d’accord.
• Seuls les mots « pleins » peuvent être inventés (les verbes, les noms, les adjectifs et certains adverbes), ceux qui renvoient à une réalité que l’on peut définir, ceux qui ont un contenu sémantique autonome. Leur nombre est illimité.
• Les mots « outils », les mots qui relient, présentent ou représentent ne peuvent pas être inventés (les déterminants, les conjonctions, les prépositions, les pronoms, aussi les verbes d’état et certains adverbes). Leur nombre est limité.
Note
Mots « pleins », mots « outils » – une démarche intéressante : Anne F., professeur de français dans une école belge, enseigne à des adolescents « a-scolaires », qui n’ont pas ou peu assimilé les savoirs de l’enseignement fondamental, qui ont intégré des étiquettes sans leur avoir donné de sens.
Pour amener ses élèves à s’interroger sur le sens et le fonctionnement de la langue, elle les invite dans un premier temps, au cours de deux ou trois séances, à explorer et comprendre le fonctionnement de leur propre corps. Comprendre leur propre structure est un bon repère pour en découvrir d’autres, notamment celle de la phrase.
Elle leur demande de réaliser des mouvements. Par exemple :
« Emmenez la main droite sur le genou gauche et ramenez-la ».
Puis les invite à refaire le mouvement et à s’interroger sur la façon dont ils se sont organisés pour le réaliser.
Ils sont amenés à distinguer les parties « pleines » de leur corps comme la main, l’avant-bras et le bras, et les parties « outils » comme leurs lieux d’emboîtement, d’articulation : le poignet, le coude, l’épaule.
Ils pourront ensuite établir un parallèle avec la structure de la phrase, ses mots « pleins » et ses mots « outils ». S’éclairciront ainsi les notions d’articulation, coordination, subordination.
* BENAYOUN, R., Le nonsense, de Lewis Carroll à Woody Allen, Éd. Balland 1977.